vendredi 28 décembre 2012

A l'angle du renard (Fabienne Juhel)















Arsène Le Rigoleur, paysan breton de 40 ans, vit depuis toujours dans la ferme où il est né. La terre, c'est toute sa vie et quand la bâtisse juste en face de chez lui est investie par un couple de citadins avec leurs deux enfants, il ne voit pas ça d'un très bon oeil. Pourtant, la petite Juliette, 5 ans, un vrai feu-follet, va trouver le chemin de son coeur. Mais gare à ne pas trop empiéter sur son territoire ni à déterrer les secrets bien enfouis...

Suite à de nombreux billets élogieux parus quand ce roman est sorti, ma curiosité avait été éveillée et je n'avais pas oublié cette singulière histoire de paysan et de renards. Une fois édité en poche, je me suis donc plongée dedans et immergée dans cette étrange atmosphère entre réalité crue, contes et légendes rurales, rêve éveillé. Car effectivement, l'originalité et l'interêt de ce livre tiennent principalement à deux choses : un univers à part et une écriture très évocatrice. On est dans le réel on ne peut plus réel du monde paysan : les deux pieds dans le fumier, les deux mains dans la glaise, avec un Arsène Le Rigoleur loin de faire honneur à son nom, taiseux comme il se doit. Et dans le même temps, la symbolique du renard court tout au long de l'histoire, la rendant poétique, onirique, totalement irréelle, par moments. Un mélange étonnant parfaitement réussi, maîtrisé grâce une langue riche, puissante, tour à tour âpre ou délicate, qui court tel un fil, que l'on suit, irrésitiblement entraîné, tout au long du récit. Il y a là de la dureté, de la tendresse, de la violence, de l'amour, de l'humour aussi et Arsène, pourtant véritablement inquiétant, ne parvient néanmoins pas à se rendre réellement antipathique.
Un vrai ton donc pour cette auteure dont j'ai maintenant envie de découvrir Les oubliés de la lande ...

Beaucoup d'autres avis positifs : SylireYvSandrineClara,
CathuluMirontaine etc ...

Extraits : 

"Entrer ici, c'est rencontrer un siècle d'histoire. Et sans parler d'histoire, faut en vouloir. Cette maison, on croirait à un visage endormi dans une mélancolie agricole, avec ses deux fenêtres qu'on dirait des paupières de pocharde à cause des barreaux violets, sa porte basse et son front borné, écrasé par un toit trapu mangé de mousse où l'ardoise est rare."

"Ca sent le poireau et les pommes de terre, un peu le chou macéré, la soupe d'hier et celle de l'année dernière. Ca sent le plâtre humide sur les murs léchés de vapeur. Ca sent la sueur des aisselles, la crasse et la vieille vaisselle. Ca sent l'ancienne vie."

"Il porte des culottes courtes et des petites bottes vertes avec les grandes chaussettes qui dépassent. Ca fait qu'il reste un petit bout de peau nue au-dessus du genou. 
Comment je peux expliquer, moi, le pouvoir de ce petit bout de peau nue. Faudrait que je décrive exactement mon sentiment. 
D'abord c'est rien qu'un bout de chair nue je me dis. Mais c'est sûr, y a un truc. Une sorcellerie, dirait la Mère. C'est peut-être que ce petit bout de chair fraîche sent l'enfance, un peu aussi les sentiers de ronces. Sur les ronces, il y a des mûres, forcément. Et puis ce petit bout de chair nue appelle les égratignures, le mercurochrome, les soins d'une mère. Ce serait comme une invitation aux vacances. Peut-être que ça a un rapport avec mes siestes passées à l'angle de la maison de grand-mère, autrefois. 
Voilà ce qu'il y a à en dire. Pas grand-chose au final. Un petit bout de genou quand même. Rien qu'un morceau de chair fraîche. Ca frissonne dans ma mémoire animale. En tout cas, ça me rend sentimental, c'est sûr."

" Pendant ce temps-là, les renards s'étaient positionnés face à la maison. Certains étaient couchés, le museau mussé entre les pattes comme de bons chiens de garde. D'autres sur le séant, d'autres encore bien campés sur leurs pattes. Tous immobiles et silencieux. Pas des renards empaillés non. Vrai de vrai, fallait voir leurs yeux, le feu dans leurs prunelles. 
Un moment ta mère a crié. Ils ont relevé la tête vers la fenêtre de la chambre. Ils ont halené l'air. Manquerait plus qu'ils se mettent à hurler, j'ai pensé. Et puis j'ai eu comme une illumination, je me suis dit ils viennent chercher ton frère, je vois pas d'autres explications. C'est le diable qui nous les envoie."

"Quand Marie Maffart s'adresse directement à moi, j'ai remarqué comme un vacillement dans son regard. Ses yeux se remplissent de petites paillettes jaunes. On peut parler d'éclairs. Des miniatures d'éclairs même. Et le sourire qui suit la trajectoire de ses petits éclairs, à Marie Maffart, ressemble pas à un sourire. C'est un sourire qui montre les dents. Que les dents."

16 commentaires :

  1. J'ai eu la démarche inverse...:) Après avoir beaucoup aimé "les oubliés de la lande", je me suis acheté ce poche, que je n'ai toujours pas lu.

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  2. Je me souviens d'un roman à l'atmosphère étrange. Je n'ai pas détesté, mais il m'a mise mal à l'aise.

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    1. Je pense que c'est fait pour car on ne sait jamais vraiment à quoi s'en tenir ...

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  3. Je ne l'ai pas encore lue, je verrai par quoi je commencerai le moment venu (ce ne sera pas encore janvier)

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    1. Pas d'urgence donc ... je comprends bien que tu ne manques pas d'idées pour le moment ! ;-)

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  4. Je n'ai lu que ce titre de Fabienne Juhel, mais il faut que je comble cette lacune !

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    1. J'ai été assez séduite par celui-là pour avoir envie d'en lire un autre...

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  5. Ce que j'ai lu des Oubliés de la lande me laisse penser que tu aimerais. J'ai été déçue par le seul roman entamé "Les hommes sirènes" que j'ai trouvé glauque, et je ne suis pas sûre d'en lire un autre.

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  6. Ce que je trouve amusant parfois, c'est de passer à côté de plusieurs billets sur un livre et soudain un autre, ni mieux ni moins bon, t'attire.

    Bonne année nouvelle pleine de belles lectures.

    Le Papou

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    1. Ca veut dire que le mien t'as donné envie de découvrir ce livre ?
      Bonne année et de jolies découvertes à toi aussi ...

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  7. Tu me donnes vraiment envie de découvrir cette romancière qui écrit aussi bien et que je ne connais pas du tout si ce n'est de (bonne) réputation.

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    1. Il y a vraiment quelque chose de spécial dans ce roman, effectivement ...qui le fait sortir du tout-venant !

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  8. il faut que tu lises aussi les hommes sirènes !

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    1. Ah ... tu n'es pas du même avis que Kathel alors ... je le note et si je le lis, je vous départagerai ! ;-)

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