Après un nombre incalculable de romans sentimentaux, Alexandre Jardin décide ici de changer totalement de registre, en révélant enfin à la face du monde les responsabilités de son grand père, dit le Nain Jaune, dans les décisions prises par le gouvernement de Vichy dont il a été, d'avril 1942 à octobre 1943, le directeur de cabinet pour Laval. Si le fait en lui-même est connu, l'auteur estime que toute sa famille, lui compris, s'est toujours aveuglée sur ce que cela impliquait réellement, notamment lors de la rafle du Vél d'hiv. Incapable de porter ce poids plus longtemps il dit lui même : " Ce livre aurait pu s'appeler fini de rire. C'est le carnet de bord de ma lente lucidité".
Après avoir été, plus jeune, assez cliente des fantaisies sentimentales d'Alexandre Jardin, en commençant par le premier : Bille en tête, j'ai fini par me lasser de lire constamment le même roman ... Fanfan 1, Fanfan 2, Fanfan 3, Fanfan 18 (comme l'a dit François Busnel dans la Grande librairie) et je n'avais plus du tout envie de continuer avec l'auteur ... jusqu'à ce que Des gens très bien soit annoncé ! Présenté comme
LE livre d'Alexandre Jardin, celui qu'il portait en lui depuis toutes ces années, bien loin de ses précédents tant dans la forme que dans le fond, je me suis dit que pour le coup j'irais bien lire ça de plus près. Et c'était avant même que j'entende parler de la polémique que ça a suscité ...
Bref, je me suis donc plongée dans celui-ci qui, bien que très différent quant au sujet traité ne m'a pas paru si nouveau pourtant dans la forme dont je parlerai d'abord. Mon dieu ... que de redites, que de clous enfoncés, que de concepts répétés ad nauseum ( la comparaison avec le fameux tableau accroché si en évidence qu'on ne le voit plus, par exemple ) alors qu'on a déjà bien compris la teneur du message ... merci ! Si Jardin se paraphrasait lui-même en essayant de toujours réinventer le quotidien amoureux de livre en livre, il tourne ici sans cesse en rond autour du même sujet au sein du même écrit ! Pénible à la longue ... 295 étaient elles vraiment nécessaires ? Quant à certaines formules ou têtes de chapitre, elles font vraiment tiquer ! Quand l'auteur, dans son écriture, se laissait auparavant emporter, celà collait encore avec les élans de la passion qu'il voulait décrire mais, appliquée à ce propos en particulier, plus de retenue aurait été bienvenue. Je pense, entre autres, à "
Auschwitz chez les jardin ", "
Je publiais Fanfan ou Le Zèbre mais je couchais déjà avec Himmler ", "
Enjuiver la France ", "
Du crime du Vel d'hiv à la promotion de la lecture, il n'y avait qu'un pas ... ". Ces deux dernières citations m'amènent naturellement à aborder maintenant le fond. Là encore, que d'emportement, que de raccourcis hasardeux voire carrément fumeux ! Alexandre Jardin nous dit que s'il n'a produit depuis 20 ans que des romans à l'eau de rose, gais et légers, c'était pour donner le change et cacher sous des airs enjoués une profonde souffrance, soit ... mais sans passer directement à la confession brutale et frontale d'aujourd'hui, peut-être aurait-il pu aborder ces sujets qui apparemment le tourmentaient tant de façon détournée ? Quand il en vient à se prendre quasiment pour un juif et à vouloir racheter la terrible faute de son grand père en militant pour l'association Lire et faire lire, au prétexte qu'il a découvert que le peuple juif lisait la Torah et que là est toute la différence, les juifs étant plus enclins à se poser des questions qu'à asséner des réponses ... la relation de cause à effet si directe laisse quand même perplexe ! "
L'Aryen moyen est fier de son ADN, le juif de sa bibliothèque." ... comme si tous les catholiques (et je le dis d'autant plus facilement que je ne me revendique pas comme telle) n'étaient que des brutes ignares et obtues et tous les juifs des intelligences supérieures inaccessibles à tout défaut ! Je suis particulièrement sensible (bien que n'étant pas juive non plus) à tout ce qui touche à la Shoah, j'ai lu bon nombre de livres sur la question et était toute prête à écouter Alexandre Jardin d'une oreille attentive et bienveillante mais l'impression qu'il m'en reste est tout de même un manque certain de nuances.
Quant aux faits eux-mêmes, il est de notoriété publique que Jean Jardin était directeur de cabinet de Laval ... rien qu'à ce titre donc, il est clair qu'il n'est pas tout blanc et qu'il y a de quoi lui reprocher certaines choses. Mais pour déterminer son degré d'implication réelle (collabo actif ou temporisateur tentant d'éviter le pire) ... c'est là que le bât blesse car s' il n'a jamais été inquiété officiellement, y compris par des accusateurs tels que Serge Klarfeld que l'on ne peut décemment pas taxer de complaisance, c'est parce qu' il n'y a aucune preuve. Continuant sur son idée fixe (qui n'est pas basée sur un ressenti ou des confidences qu'auraient pu lui faire son grand-père puisqu'il l'a très peu connu) l'auteur affirme que s'il n'y a pas de traces c'est que précisément, dans son grand machiavélisme, Le Nain jaune a pris soin de tout faire disparaître. Quoi qu'il en soit, le manque de preuves et de documentation sérieuse est justement l'un des principaux reproches faits à ce livre, notamment par Pierre Assouline (sur son blog) qui a écrit la biographie de Jean Jardin (Une éminence grise) et qu' Alexandre Jardin met directement plusieurs fois en cause.
Alors parano... pas parano ? Totale sincérité ou moyen pour se rendre intéressant ? Depuis, la polémique fait rage avec la famille, l'oncle et le cousin d'Alexandre tout spécialement qui, scandalisés, récusent totalement ses propos. Dans leur interview sur Europe1, ils insistent sur 2 points ... d'après eux, Alexandre Jardin a effectivement l'air "en souffrance" (sous entendant plus ou moins qu'il ne va pas bien) mais en même temps tout cela ne serait qu'une vaste opération marketing, une manipulation parfaitement cynique pour se remettre sur le devant de la scène alors que le succès n'est plus au rendez-vous ! C'est vrai qu'en visionnant une partie de La Grande librairie, il ne m'a pas paru apaisé, ni naturel, un peu theâtral à vrai dire ...
Pour finir, a t'il raison, tort ? Difficile de le savoir vraiment et je me garderai donc de porter un jugement définitif. Simplement, Des gens très bien me laisse très mitigée, un peu mal à l'aise même et ne m'a pas réconciliée avec l'auteur dont j'aurais attendu plus de maturité ...
Pour en savoir plus :
Alexandre Jardin à La grande librairie
par l'oncle et le cousin d'Alexandre Jardin
Malgré mon avis peu engageant, si vous êtes intrigué(e)s et tenté(e)s, ce livre peut voyager ...
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