Elle, diplômée d'une école de commerce depuis quelques années, vient tout juste d'être embauchée dans cette société qui vend des papiers peints. Une aubaine lui permettant enfin de progresser professionnellement et financièrement.
Lui, surnommé l'Ancêtre, est le plus vieux commercial de cette boîte qui ne comptait au départ que lui et le fondateur. Ses chiffres sont toujours bons mais la direction estime qu' il n'est plus "raccord".
Et soudain, elle se rend compte qu'elle a été engagée en tout premier lieu pour le licencier, lui.
Banlieues déprimées, laideur de centres commerciaux excentrés, monotonie de l'asphalte sans cesse renouvelée, aires d'autoroutes interchangeables, chambres d'hôtels impersonnelles, appartements trop vides et bureaux standardisés dans lesquels se tapit une cruauté feutrée au service d'une logique économique déshumanisée, tels sont les décors qui forment la trame de ce roman. Un roman gris. C'est comme ça que je l'ai vu tout au long... Le gris uniforme de vies mornes se dévidant sur leur lancée parce qu'il faut bien continuer.
Le portrait de l'ancêtre déroule une histoire qui semble obsolète, celle des commerciaux à l'ancienne que l'on appelait encore VRP. Toujours seul, toujours absent, cotôyant plus ses clients que sa propre femme qui un jour, inévitablement, est partie, connaissant mieux ses magasins que ses enfants, si distants maintenant. Pour seul horizon, la route et deux plaisirs : la dégustation de bons vins de bourgogne et celle des vers de Rimbaud, voyageur de commerce tout comme lui, et qui l'accompagnent partout. Et puis, une fierté, celle du travail bien fait dans lequel il a su insuffler un peu de poésie, une touche toute personnelle. C'est sa signature et qu'on la lui laisse ! On ne le forcera pas à vendre des canapés dorénavant, ça non ...
Elle, 30 ans, n'a pas non plus un parcours palpitant : école de commerce suivie contre l'avis de sa mère qui trouvait que ça coûtait "bonbon"et un rêve bien modeste mais qu'elle poursuit en mémoire de son père trop vite disparu : s'élever dans la société et pouvoir accéder à la propriété, d'abord un appartement et puis un jour, enfin, une maison. Rien qu'à elle. Pour l' appart, ça y est, c'est fait : un trois pièces trop grand pour elle, dans lequel elle n'arrive pas à vraiment s'installer. Pour le boulot : elle se donne à fond dans le remaniement de l'équipe des ventes car la promotion n'est pas loin et ce sera la consécration mais virer l'ancêtre, ça non ... elle ne peut pas, d'autant qu'il a toujours les meilleurs chiffres même si ce n'est pas en se calquant sur les dernières trouvailles du service marketing.
Et puis un jour, trop c'est trop, tout volera en éclats. De la rencontre de ces deux êtres jamais nommés autrement que par des pronoms, du croisement de ces deux existences anonymes, ternes et solitaires, va naître une lueur d'espoir, une étincelle de vie, une volonté de renouveau, aussi timide soit-elle. Et c'est cette petite bouffée d'air frais bienvenue qui vient clôre un récit sans concessions sur la violence au travail, la dureté de nos sociétés mais aussi la vacuité de nos vies...
Les avis de Cathulu et de Mango.