Christine Orban fait venir chez elle à Paris, pour les fêtes de noël, sa mère qui habite toujours à Casablanca. Ca fait un moment déjà " qu' elle perd un peu la tête " comme on dit pudiquement... Cette fois-ci, elle arrive avec un animal en peluche qu'elle prend pour un vrai. Tout au long de ces quelques jours, entre quotidien devenu surréaliste et souvenirs d'enfance, Christine Orban va se livrer sur la difficulté de vivre la maladie d'Alhzeimer de sa mère, d'autant plus exacerbée que les rapports entre elles ont toujours été compliqués.
J'avais tout de suite dressé l'oreille quand j'étais tombée par hasard sur une interview de Christine Orban au sujet de ce livre. Je l'avais écoutée, scotchée, jusqu'au bout, me disant que oui, je l'achèterais bien ... un tout petit peu retenue quand même par certains préjugés à l'égard de l'auteur (romans parfois très légers comme Fringues, que, je le dis honnêtement, j'avais quand même aimé ... je suis une fille aussi, hein ! Des choses pas très positives entendues sur ses derniers également.) mais la façon dont elle parlait de celui-ci pourtant ... et puis, j'ai lu le billet de Cuné et là, je n'ai plus hésité. Et j'ai vraiment bien fait ...
Ce livre m'a parlé, émue, touchée, chamboulée, bouleversée ! Je m'y suis vraiment retrouvée, sentiment encore amplifié par des détails troublants ! Rien à voir avec ma lecture de Grandir de Sophie Fontanel (sur le même sujet) qui, avec le recul, ne m'a pas marquée plus que ça. Je me souviens l'avoir lu en restant malgré tout très à l'extérieur alors que là, j'ai tout ressenti, de plein fouet, de l'intérieur. Christine Orban se raconte honnêtement, sans faux-semblants sur ses sentiments, contradictoires souvent ... Lucide, sensible, forte et fragile à la fois, drôle aussi parfois ... en rire évite d'en pleurer, elle nous livre un témoignage à fleur de peau car de la souffrance, il y en a et il y en a eu ! Comme pour chacun, une partie de l'histoire familiale ressurgit, avec ses peines et ses traumatismes, un héritage que l'on voudrait pouvoir renier même si on se surprend à reproduire pourtant, malgré soi, encore et encore. Tout un passé qui remonte et explose à la figure au moment où l'on se voit contraint d'inverser les rôles, de devenir les parents de ses parents, la mère de sa mère même si pour certains, comme Christine Orban, ça a de toutes façons toujours été un peu le cas ...
Au pays de l'absence a fait résonner en moi des échos très personnels, c'est vrai, mais si vous plonger dans ce sujet ne vous fait pas peur ou si vous êtes concernés de près, alors, vraiment ... lisez ce livre !
Extraits :
" Tu affirmais: jamais je ne pèserai sur mes enfants. Je me souviens lorsque tu as prononcé cette phrase, je m'en souviens parce qu'elle me semblait louche. Pourquoi une mère dirait-elle cela à de jeunes enfants, si elle ne redoutait pas le contraire ? "
" Les épaules de maman ont renoncé en premier. Elle ne les tient plus droites. Le ventre aussi a lâché. Comme une marionnette qu'aucun fil ne soutiendrait, elle s'est affaissée. "
" Il a fallu en arriver à ces extrêmes pour que je renonce à lui faire entendre raison. Mais il y a dans ce renoncement de la culpabilité, l'impression de l'abandonner à son sort, de ne pas lui venir en aide. De choisir la tranquillité. "
" Maman me regarde, elle chancelle un moment, à tel point que je crois qu'elle va tomber, elle se retient au dossier du canapé, caresse la tête de son petit singe et me lance : je sais bien que ce n'est pas un vrai, mais tu comprends, cela me fait du bien. Tu ne sais pas ce que c'est d'être seule ..."
" Et si vieillir était devenir ce que l'on est en pire ? "
" Quand tout va bien elle cherche une raison d'aller mal. Elle trouve ... elle cherche les petits soucis, plein de petits soucis montés les uns sur les autres, cela finit par faire une montagne de soucis, une montagne qui entrave le bonheur. "
" Tu étais ainsi. J'ai mis longtemps à nous séparer, à séparer ta destinée de la mienne, à ne pas sombrer avec toi. "
" J'ai mis du temps à comprendre que je ne devais plus tenir compte de ses paroles. Que cela ne vaut rien une parole de maman, un regard, une acceptation, une opinion, un jugement, un conseil, plus rien, pas tripette, oualou, comme on dit chez nous. Maman dit et se contredit, elle affirme et infirme quelques instants après ... et moi, je chancelle, parce que, malgré le naufrage, le plus difficile, c'est de ne plus la croire. "
" Il ya une phrase que j'ai appris à bannir de mon vocabulaire: Je te l'ai déjà dit. En user était un luxe. Comme s'il suffisait de le lui souligner pour qu'elle ne repose plus la question. Les informations nouvelles ne la pénètrent plus, elles glissent. Elles l'éclairent quelques secondes et la lumière disparaît, laissant place à un étonnement neuf, incrédule. "
" Après cet effort de mémoire, la ritournelle s'enclenche. Pour la cent cinquantième fois : qui vient me chercher ? Deux cent fois : à quelle heure je pars ? Mille fois : n'oublie pas de me donner de l'argent. J'ai la tête qui tourne. "
" Les garçons sourient, ils savent la faire rire, régresser avec elle, pénétrer son univers de grimaces et de farces, mieux que moi. "
" Au bout d'un moment, je me détourne de toi, épuisée. Ton univers est envahissant et vide à la fois. On ne peut y rester enfermé trop longtemps. "
Je crois que jamais je n'ai cité autant d'extraits ...
Un livre que de toute façon j'avais envie de lire (et comme pour S Fontanel, je ne connaissais pas l'auteur...)
RépondreSupprimerJe guetterai ton avis ...
RépondreSupprimerLes bons échos se confirment autour de ce livre, je le lirai sans doute, sans urgence.
RépondreSupprimerje ne souviens pas : tu avais lu Grandir ?
RépondreSupprimerOui et j'avais aimé. Mais tu dis que c'est très différent, je craignais de tomber un peu dans le même livre, apparemment ce n'est pas le cas.
RépondreSupprimerCe n'est pas que le sujet soit différent, c'est plutôt moi qui l'ai reçu très différemment !
RépondreSupprimerJe suis presque sans voix parce qu'à travers tes mots je sais que ce livre je risque de le recevoir comme toi pour des raisons qui tiennent à mon histoire personelle aussi... dans une des citations, elle dit que ses fils arrivent à pénétrer le monde intérieur de leur grand-mère mieux qu'elle, cela m'a fait penser au "piano desaccordé" où justement la narratrice rentre complètement dans le délire de sa mère pour essayer d emieux l'accompagner... ce sont des situations tellement absurdes et inédites, chacun doit inventer une réponse sans pouvoir s'aider d'une belle théorie... je vais demander si ce livre est à la médiathèque! bises
RépondreSupprimerJ'avais pensé le faire voyager et puis non, je ne peux pas ... pas celui-là ! Moi qui annote très rarement les livres , je me rends compte que celui-là est tout strié , et tous ces endroits surlignés , par pudeur, je préfère ne les réserver qu'à moi !
RépondreSupprimerPas de souci , Véronique ! je comprends très bien çà , cela m'est arrivé une fois un bouquin où j'avais l'impression de revivre mon enfance et mon adolescence, je l'ai acheté pour pouvoir l'annoter et mon ainée qui voulait le lire je lui ai acheté un autre exemplaire!
RépondreSupprimerj'ai fini mon roman danois et je me demande si je ne vais pas en faire un billet car visiblement il n'y a pas grand chose sur internet et je me suis régalée!
Ah ... j'ai hâte de te lire, alors ! ;-)
RépondreSupprimercette maladie étant l'une de celles qui m'effaient le plus et de loin, je ne pourrais pas, je suis trop lâche, j'ai trop peur, des mauvais souvenirs aussi...mais je comprends bien sûr ton point de vue...d'autant qu'effectivement ce bouquin semble riche...un jour, peut-être, je grandirai...
RépondreSupprimerIl ne faut absolument pas se forcer sur ce genre de sujet ! Ne lire que parce que oui, on se sent prête même si ça doit remuer quand même ...
RépondreSupprimerPour moi aussi, une lecture qui m'a touché...Vous en parlez d'ailleurs fort bien
RépondreSupprimerMerci !
RépondreSupprimerJe suis allée lire votre billet aussi ...
La maladie d'Alzheimer, je la côtoie tous les jours. Cette dégénérescence est terrible, mais je me dis qu'elle l'est surtout pour l'entourage. J'entends souvent des phrases des familles qui disent exactement celle que tu as mis en dernier extrait. Cet épuisement...
RépondreSupprimerEt cette difficulté à trouver le "bon" comportement aussi face à ces aberrations ...
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