mardi 20 novembre 2012

Tigre, tigre ! (Margaux Fragoso)















 
Margaux a 7 ans quand elle rencontre Peter. 
Lui en a 51...
Charmeur, il devient rapidement pour la petite fille un ami, un  second père ... puis très vite un amant, un mari pratiquement. Une relation qui va durer 15 ans, sous les yeux d'un entourage qui ne veut rien voir, jusqu'à ce que Peter se suicide. 
Il a alors 66 ans et Margaux 22...

Je vous assure qu'après deux lectures à la suite traitant de pédophilie, là, il faut vraiment que je change d'air et d'univers !!!
Car si Lointain souvenir de la peau traitait le sujet de manière large, sous un angle pour ainsi dire sociologique, Tigre, Tigre ! lui l'aborde de plein fouet. On n'est plus ici dans les généralités mais dans la réalité brute, au coeur de l'intime : une petite fille face à un homme et c'est un sacré coup de poing. Je sais que c'est un récit, celui de la vie de Margaux Fragoso et que tout ce qu'elle raconte dans ce livre, elle l'a vécu et pourtant j'ai constamment eu la drôle d'impression de lire un roman. Et tant mieux, car en ne se contentant pas de livrer son témoignage, en transcendant sa terrible expérience sous une forme littéraire, l'auteure nous en rend la lecture plus facile... enfin, facile, façon de parler, plus abordable, disons ! 
Quelques scènes sont en effet à la limite de l'insoutenable, jamais gratuites cependant. Car le propos essentiel de Tigre, Tigre ! au-delà de la libération qu'il a dû représenter pour Margaux est de donner à voir de façon très claire la façon de procéder des hommes tels que Peter. A priori, il ne ne ressemble pas à un monstre ... il vit avec une femme et ses  deux fils à elle, il est gentil, attentionné, généreux de son temps et séduit tandis qu'il prend petit à petit sa proie et ses proches dans ses filets tel un prédateur, le pervers manipulateur qu'il est en vérité. Son terreau : une situation familiale déséquilibrée, la mère de margaux(elle-même violée dans son adolescence) est maniaco-dépressive, toujours un peu larguée, souvent à l'hôpital ... son père,  bien qu'aimant est frustre et violent, assurant le matériel en travaillant puis oubliant l'état de sa femme en se saoulant dans les bars. Des fragilités idéales pour que Peter s'engouffre dans les failles, se comportant d'abord avec Margaux comme s'il était lui-même un enfant, lui tournant la tête avec tous les animaux qu'il a chez lui, des histoires et des jeux incessants. Ils se verront ainsi de plus en plus souvent, jusqu'à ce qu'il se soit rendu absolument indispensable, qu'il soit devenu la personne la plus importante aux yeux de la petite fille, prête alors à croire tout ce qu'il lui dit, à faire tout ce qu'il lui demande, menée par l'amour qu'elle lui porte. L'amour, oui, et c'est bien ça le pire car il la persuade que c'est une relation d'amour qu'ils vivent, qu'elle est unique, que c'est parce que c'est elle et parce que c'est lui et qu'ils se marieront un jour, quand ils n'auront plus à se cacher. Prise de pitié quand il se pose habilement en victime, liée par un sentiment de loyauté ambigu, de culpabilité trouble, Margaux restera prisonnière de cet amour  jusqu'à ses 22 ans, jusqu'à ce qu'acculé par d'autres accusations (le comble étant, entre autres, qu'il était famille d'accueil pour enfants en difficulté, en contact permanent avec un vivier de victimes potentielles, comme souvent ...) et la pauvreté il se suicide, lui permettant alors d'ouvrir réellement les yeux, d'arrêter de se mentir, de cesser de le couvrir. Point d'orgue étonnant à cette terrible histoire, c'est lui qui lui demande comme dernier volonté de la raconter, comme s'il avait voulu ainsi la libérer définitivement de son emprise, lui donner enfin la possibilité de vivre ...

Extraits :

"Huit ans est le plus bel âge pour une fille, dit Peter quand j'eus ouvert mes cadeaux. Mais ça me rend triste de te voir grandir."

"Je t'aime. Je veux que tu éprouves de la joie et je veux que tu sois capable de me donner de la joie. Il n'y a rien de mal à ça. Je peux te montrer ?"

"Les pédophiles sont maîtres en tromperie parce qu'ils excellent d'abord à se tromper eux-mêmes. ils s'illusionnent jusqu'à croire que ce qu'ils font est inoffensif."

"Le secret: voilà ce qui a permis au monde de Peter de s'épanouir. Le silence et le déni sont exactement les forces sur lesquelles comptent tous les pédophiles pour que leurs vrais mobiles restent cachés."

Aujourd'hui, Margaux Fragoso a une fille et mène une vie équilibrée.
A la fin de son livre elle donne les coordonnées d'un site internet et incite "quiconque en proie à une attirance sexuelle pour les enfants" à s'y connecter pour recevoir rapidement de l'aide.
Touchée par son histoire, Marie Darrieussecq en a assuré la traduction (de l'américain au français).

Un seul autre billet trouvé, celui de Laurence de Biblioblog...



16 commentaires :

  1. Je passe ... trop lourd ces histoires-là.

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    1. Très lourd certes mais courageux et salutaire comme témoignage ...instrument de compréhension des mécanismes à l'oeuvre et finalement objet littéraire méritant !

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  2. C'est le prochain sur ma liste donc je lis ton billet en diagonale. Il va me falloir un truc très léger pour la suite si j'ai bien compris?

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  3. Dis donc, tu choisis du lourd, pour cette rentrée... Je ne peux pas lire ça, les pervers manipulateurs, ça me hérisse rien qu'à lire les extraits...

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    1. Du lourd ces derniers temps, oui !
      Je vais passer à plus léger...
      Celui-ci était difficile mais édifiant, je ne regrette pas !!!

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  4. MAis comment Margaux a-t-elle vécu cette relation: était-elle heureuse? SE sentait-elle manipulée? J'ai toujours beaucoup de mal avec ce type d'histoires, même en étant la plus tolérante possible. Une enfant de 7 ans et un homme de 51: non là vraiment ça me dépasse.

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    1. Elle était tout ça à la fois et bien plus encore...
      Ca dépasse toute personne normalement constituée mais c'est justement tout l'interêt du livre (qui n'est pas malsainement voyeuriste) de montrer comment cela peut devenir possible ...

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  5. Pas trop mon truc les témoignages, même si celui-ci a l'air d'être particulièrement fort et cruel

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    1. C'est plus qu'un témoignage brut, il y a de l'écriture aussi et une façon de relater les choses qui laisse presque à croire qu'on lit en fait un roman.

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  6. J'en ai entendu parler en dehors des blogs. Je le lirai peut-être s'il croise ma route.

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  7. A croire le nombre de livres et films qui existent sur le sujet, bien que nous dépassant il faut croire que ces prédateurs qui je pense, agissent toujours de la même façon,sont bien plus nombreux qu'on ne peut ou veut l'imaginer... brrr...je ne suis pas sûre de vouloir le lire celui-là et pourtant tu en parles merveilleusement bien... je me demande même si tu dis que l'auteur va bien, comment on peut effacer une telle horreur et si un jour cela ne va pas lui éclater à la figure comme une bombe à retardement...

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    1. Je dis qu'elle va bien car c'est la note finale de l'éditeur ... et je crois qu'elle peut "aller bien" dans la mesure où elle s'en est libérée dans l'écriture, qu'elle a parfaitement analysé les mécanismes qui ont permis cette horreur et qu'elle est pltuôt dans le positif que dans le ressentiment en mettant l'accent sur la prévention plus que sur la punition... mais effectivement, elle ne pourra certainement jamais l'effacer vraiment !

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  8. Ton billet a réussi à m'intriguer. J'avais vu ce titre sur les étals sans savoir de quoi il parlait. Ce n'est pas une lecture facile !

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    1. Pas facile, non mais ... intéressante dans sa démarche qui analyse et n'est pas pur voyeurisme et dans sa forme aussi .

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